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Photo du rédacteurFranck Houdas

Interview d’Alexandre Alain : « Guy Roux a placé l'Yonne et Auxerre sur la carte. »

Dernière mise à jour : 4 août 2023

Auxerre : la Bourgogne, l'Yonne, le Chamblis, les escargots, l'Abbaye Saint-Germain... mais surtout l'Association de la jeunesse auxerroise, plus connue sous le nom de l'AJA. Ce club de foot a connu le plus grand entraîneur de son histoire : Guy Roux. Alors pour Alexandre Alain, journaliste et supporter de l'AJ Auxerre depuis toujours, écrire un livre avec Guy fut l'apothéose. Celui qui a grandi à Sens et vécu les grandes ambiances de Coupe d'Europe à L'Abbé-Deschamps, nous raconte l'écriture du livre Confidences, co-écrit avec Guy Roux, et l'image qu'il a de l'entraîneur mythique d'Auxerre.


Bonjour Alexandre, comment en es-tu venu à écrire un livre avec Guy Roux ?

Après mon premier livre sur Jürgen Klopp, j’étais chez l’éditeur Talent Sport pour un réunion informelle et on me pose la question : « Quel club supportes-tu en France ? ». Je réponds Auxerre puisque je suis originaire d’une ville à côté d’Auxerre. Et suite à ma réponse, l’éditeur me propose d’écrire un livre sur Guy Roux. J’étais un peu sceptique sachant que Guy Roux avait déjà écrit des livres. Je leur explique donc mon point de vue en leur proposant de trouver un thème sur des sujets que Guy n’a pas encore évoqués. J’avais déjà eu cette idée mais sans sauter le pas. Talent Sport me propose donc d’appeler, ensemble, Guy Roux dans la foulée. On l’appelle dans la foulée et sans préparation. Guy Roux nous répond qu’il doit prendre le temps de réfléchir à cette idée. Puis pendant cette même réunion, Guy Roux nous informe qu’il avait encore des choses à raconter. À partir de là, c’était parti !

Guy Roux et Alexandre Alain masqués.
Guy Roux (à gauche) avec Alexandre Alain (à droite), journaliste et fan de l'AJA. / ©Radio France - Nicolas Fillon

Une écriture qui a commencé au printemps 2020, pendant le premier confinement.

Exactement, tous les mardis et mercredis pendant plusieurs mois, en visio pendant deux-trois heures avec Guy. Il ne maîtrise pas la technologie mais pour se connecter à distance, ça allait (rires) ! Je choisissais donc un thème chaque semaine pour éviter que ça parte dans tous les sens même si après je n’hésitais pas à regrouper. Je relançais Guy pour savoir ce qu’il en pensait. Ce qui était bien avec lui, c’est que je n’avais pas besoin beaucoup de le relancer : une pièce dans la machine et c’est parti pour de nombreuses anecdotes. Nous avons donc fait ça à distance au début puis après on a quand même pu se voir pour la relecture. Donc c’était super.


La préface est signée Djibril Cissé, joueur repéré par Guy Roux avant qu’il devienne professionnel à Auxerre. Est-ce toi qui a suggéré l’idée ou bien était-ce une volonté de Guy ?

C’est moi. Je voulais d’autres témoignages dans le livre que ceux de Guy pour apporter un plus, une petite touche différente entre chaque chapitre. Et pour la préface, j’ai tout de suite pensé à Djibril Cissé puisqu’avec Éric Cantona, c’est le joueur phare que Guy Roux a formé. Pour Djibril, Guy Roux c’est son deuxième père. On le voit à chaque fois que les deux sont sur un plateau télé. Dès que Djibril parle de Guy, il est très ému. C’est vraiment quelqu’un qui lui a tout apporté de ses 14 ans jusqu’à ses 24 ans, et encore même aujourd’hui. Parfois, j’étais en visio avec Guy Roux et Djibril l’appelait pour lui demandait un conseil de la vie de tous les jours et pour avoir un avis extérieur. Il sait que Guy est une personne importante dans sa vie qui ne va pas lui faire de mal. Donc la préface de Djibril me semblait un peu une évidence.




Dans ce livre, Guy Roux se confie comme jamais : ses mises au vert, sa relation avec Jean-Claude Hamel et Gérard Bourgoin (rétrospectivement président et vice-président de l’AJA à l’époque), sa stratégie de recrutement ou bien encore sa carrière dans les médias. As-tu appris des choses sur lui au cours de l’écriture ?

J’avais déjà lu ses précédents livres avant même de savoir que j’allais en écrire un avec lui par passion. Mais cela ne m’a pas empêché d’apprendre plein d’autres choses. Je connaissais beaucoup d’anecdotes que Guy avait déjà racontées à de nombreuses reprises et que je n’ai pas mis dans le livre comme l’histoire de la mobylette de Basile Boli. Le but n’était pas d’écrire des anecdotes déjà dites. Lors de nos visios avec Guy, j’ai appris énormément de choses notamment les histoires de recrutement. Je voyais des joueurs arriver à l’AJA mais je ne savais pas ce qui se cachait derrière.


De nombreuses personnalités du foot participent à ce livre (Hervé Mathoux, Djibril Cissé, Sabri Lamouchi, Enzo Scifo...). Leur témoignage t’ont fait-ils prendre connaissance de la mesure du personnage qu’est Guy Roux ?

Encore plus oui ! Je suis pourtant d’Auxerre et je connais la vie de Guy Roux par cœur. Je sais que c’est quelqu’un de très important. Pour donner un exemple, Enzo Scifo n’avait pas donné d’interview depuis un an et demi voire deux ans. Pour rentrer en contact avec lui, j’ai dû passer par un journaliste belge qui était le dernier à l’avoir interviewé. Gentiment, il m’a donné le numéro d’Enzo en m’avertissant qu’il n’accorde plus d’interview, qu’il ne veut plus témoigner et être dans les médias. J' ai alors envoyé un message à Enzo et il m’a rappelé en me disant : « Si c’est pour Monsieur Guy Roux, il n’y a pas de problème, je le fais tout de suite. » Pour Sabri Lamouchi qui était au Qatar, c’était la même chose : il m’a rappelé immédiatement. Tout le monde était ravi de parler de Guy, de la période vécue en tant que joueur. En tant que supporter d’Auxerre, le témoignage des autres était très émouvant. Je voyais l’importance qu’un homme avait eu sur la vie de tous ces sportifs de haut niveau qui ont connu des grandes carrières : Enzo Scifo a joué quatre Coupe du monde, Sabri Lamouchi a joué à Marseille et à l’Inter Milan notamment. Pour eux, le personnage le plus important de leur carrière c’est Guy Roux. Donc oui, j’ai encore plus pris la mesure du personnage.


Parmi toutes les anecdotes citées dans ce livre, laquelle t’a le plus marquer ?

C’est une question difficile pour y répondre. (Il réfléchit) Peut-être celle où il tire en direction des journalistes allemands quelques jours avant le match face à Dortmund en 1996. À chaque fois que je l’entends, elle me fait beaucoup rire. Maintenant, ce serait impossible de faire ça. C’était il n’y a pas si longtemps mais c’était déjà une autre époque. Aujourd’hui, un entraîneur n’emmènera pas ses joueurs dans la campagne, au fin fond du Morvan (ndlr : massif de basse montagne situé en Bourgogne-Franche-Comté), pour faire ses mises au vert. Donc imagine si un entraîneur tirait en direction d’un journaliste, sans même le toucher : ça prendrait des proportions énormes. Mais avec Guy Roux, tout passe !


Une autre anecdote qui m’a marqué : celle de Sabri Lamouchi. Lors de notre échange, il m’avait dit : « Quand Guy me recrute, je ne le connais pas personnellement ni la ville d’Auxerre. Et la première chose qu’il fait c’est de m’emmener près d’un lac, au milieu d’une forêt, et de donner à manger aux canards. À ce moment-là, je me suis dit où j’étais alors que j’avais l’opportunité de signer à Monaco. »

Guy Roux et Alexandre Alain.
L'ancien entraîneur emblématique de l'AJA et le journaliste Alexandre Alain ont rédigé ensemble les quelque 280 pages du livre. / ©Yoann Etienne

As-tu également pu apporter ton savoir personnel sur la vie de Guy Roux ou du football auxerrois lors de l’écriture de ce livre ?

Oui bien sûr. J’ai fait du travail de recherche en amont donc c’est évidemment plus facile. Guy Roux a dirigé 894 matchs rien qu’en première division donc si on compte toutes les rencontres de coupes, c’est sûr qu’il ne se rappelle pas de tout. Par exemple, je lui parlais d’un match contre Marseille, je savais de quoi je faisais référence puisque j’étais au stade. Guy, lui, a dirigé je ne sais combien de matchs face à l’OM. Donc c’est normal qu’il ne se souvienne plus du but à la 33ème minute. J’arrivais un peu à le guider, du moins à lui rappeler un fait et hop, là ça repartait.


Aujourd’hui, un des entraîneurs qui a ce côté paternaliste comme Guy Roux c’est Jürgen Klopp. Penses-tu qu’on retrouvera un entraîneur avec la même méthode de management ?

Je ne pense pas. Les générations ont changé, les jeunes ont changé et les réseaux sociaux sont apparus. De nos jours, je ne pense pas qu’on puisse emmener des joueurs quatre jours aux mises au vert et faire tout le temps la même chose. Sabri Lamouchi me disait que l’entraînement effectué à Auxerre allait être le même tant que les joueurs rester dans ce club. C’était très répétitif et paternaliste. Maintenant, ce n’est plus possible. D’autant plus qu’il n’y a plus d’entraîneurs qui vont rester 40 ans dans un club. Guy Roux savait que quoi qu’il arrive, il restait à l’AJA même si les résultats n’étaient pas bons. Et les joueurs voulaient réussir et ils savaient très bien que Guy Roux n’allait pas partir avant eux. Donc ils devaient s’y faire. Maintenant c’est différent : les joueurs peuvent faire virer un entraîneur qui a une durée de vie sur un banc beaucoup plus courte.


À première vue, Guy Roux représente le football français. Etais-tu étonné lorsque tu as appris qu’il était aussi passionné par le cyclisme, la politique et le vin ?

Concernant le cyclisme, Guy est une encyclopédie. J’avais déjà vu des photos où il faisait des étapes pour une association, comme beaucoup d’autres personnes invitées. Mais je ne pensais pas à ce point-là. Dès qu’il y a une course de vélo à la télé, il la regarde, peu importe le moment de l’année. Il se souvient des classements du Tour de France. Il peut te dire le classement de la 13ème étape du Tour 1967. C’est une vraie Bible ! Mais il s’intéresse également à tous les sports, pas que le cyclisme. Pour être allé chez lui, il a acheté une collection de journaux des années 60, a priori l’ancêtre de L’Équipe, et les relis parce qu’il est passionné. Il va relire un article sur du tennis de table, du rugby, de l’athlétisme... Guy aime vraiment tous les sports.


Pour le reste, je savais qu’il avait une culture générale assez élargie. Il s’intéresse à tout et plus particulièrement aux hommes. Par le biais de s’intéresser à ses joueurs et par les personnes qu’il a en face de lui, il va apprendre des choses sur la religion, la politique... Il est très ouvert d’esprit.

Guy Roux lorsqu'il entraînait Auxerre.
Guy Roux et l'AJA, une histoire d'amour / ©NEBINGER - SIPA

Dans cet ouvrage, le lecteur peut retrouver les phrases cultes de Guy, un quizz sur lui, ses équipes de rêve et mêmes des anecdotes croustillantes. Avec Guy, êtes-vous partis dans l’optique d’écrire un livre pour distraire les personnes ?

Oui, c’est moi qui ai eu les idées. C’est comme les interviews entre les chapitres. Quand j’ai amené le livre à Guy la première fois pour qu’il le lise, il n’était même pas au courant de toutes ces choses. Effectivement, le but était d’écrire un livre divertissant, de passer un bon moment en le lisant. Comme lorsqu’une personne rencontre Guy Roux. Nous ne voulions pas parler de 4-3-3 ou de marquage individuel pendant 300 pages. Ecrire une encyclopédie sur toute sa carrière de façon linéaire ne nous intéressait pas. Il fallait apporter un petit truc en plus, que ça sorte un peu du terrain de football qu’on connaît tous et que le livre ressemble à Guy Roux.

Guy Roux
Avoir un tribune à son nom, la classe ! ©L’Alsace /Vincent VOEGTLIN

La plupart des clubs ont un entraîneur ou joueur phare : Messi à Barcelone, Steven Gerrard à Liverpool, Alex Ferguson à Man U ou bien encore Totti à la Roma. Peut-on dire que Guy est le symbole mythique de l’AJA ?

Oui, clairement. Après Guy dira que c’est un trio avant tout : Jean-Claude Hamel, Gérard Bourgoin et lui. Il dira que sans eux, il n’aurait rien fait ; ce qui est vrai aussi. Jean-Claude Hamel a monté le club de A à Z et c’est grâce à lui si l’JAJA était bien gérée et avait une bonne situation financière. Guy Roux a plus pris la lumière puisqu’il était sur le terrain, c’est lui qui allait vers les caméras. Par son caractère, Guy est devenu le personnage le plus important de l’histoire du club et il continuera à l’être.


Le stade s’appelle Le stade de L’Abbé-Deschamps. Il y a déjà une tribune Guy Roux qui existe. Dans les années à venir, il y aura sûrement autre chose qui s’appellera Guy Roux à Auxerre.


Il mérite une statue, n’est-ce pas ?

Exactement. Je ne pense pas qu’il veuille mais il y aura quelque chose c’est sûr. Il a emmené une toute petite ville de la DH à un quart de la Ligue des Champions (ndlr : contre Dortmund en 1996) et même à un doublé championnat-coupe de France la même année. Les gens s’identifiaient à lui : l’histoire du petit qui bat le gros, du club qui n’a pas beaucoup d’argent qui bat le PSG et l’OM. Il a même eu sa marionnette aux Guignols de l’info. C’était un vrai personnage.


Guy Roux est devenu entraîneur-joueur alors qu’il n’a même pas connu le haut niveau. Et quand on voit ce qu’il a accompli c’est tout de même impressionnant ?

Il voulait être joueur professionnel bien sûr. Il a demandé à ses entraîneurs s’il pouvait être joueur de D1. Ils lui ont dit non. Guy a alors décidé d’arrêté de jouer au foot et de trouver une autre manière d’être en première division. Il s’est donc consacré au management. Et il a cela dans le sang : c’est un leader, quelqu’un qu’on écoute, qui comprend les hommes et qui s’intéresse à tout le monde. Il peut être à la fois dur et très paternaliste. Il a vraiment été fait pour ça.


Quelle image as-tu de l’entraîneur mythique d’Auxerre ?

Pour moi et comme pour tous les supporters de l’AJA voire au-delà de toutes les personnes de l’Yonne, Guy a placé l’Yonne et Auxerre sur la carte. Je m’en rappelle, quand j’étais plus jeune et que j’allais dans un camping, je rencontrais des Allemands et des Hollandais. Je leur disais que je venais d’Auxerre et ils savaient où se trouver la ville parce que l’AJA était présente en Coupe d’Europe chaque année. Et je pense que Guy Roux a apporté la fierté d’être Auxerrois à toute une population où nous n’avons pas grand-chose, excepté le vin de Chablis. En le côtoyant, j’ai remarqué que c’était une personne simple et cultivée, quelqu’un d’hors-norme et exceptionnel.

Guy Roux, auxerrois à 100%.
Guy Roux, ici en 8èmes de finale de Coupe de France face au PSG à l'Abbé-Deschamps en mars 2005. / ©Maxppp - Olivier Corsan

Depuis, es-tu resté en contact avec Guy ?

Oui, j’essaye de prendre des nouvelles régulièrement. Maintenant, j’habite et travaille dans le sud de la France, vers Monaco, donc c’est assez difficile de le voir mais j’essaye de le faire à chaque fois que je remonte. On s’appelle régulièrement pour parler de tout, de l’AJA, de l’ASM


Il n’y a pas un autre livre en préparation ?

Non, on aurait pu franchement (rires) ! Avec toutes les anecdotes qu’il raconte, on peut en faire deux-trois livres. Bon, il y en a que Guy ne veut pas raconter. Alors que le livre était fini, lorsque nous étions à table, Guy me racontait des anecdotes et je me disais que celles-ci je pouvais les mettre dans le bouquin. Sa vie est une succession d’anecdotes.


Un mot pour décrire Guy Roux ?

Un mot... (Il réfléchit longuement) C’est une bonne question. Je dirais peut-être « entier ». C’est quelqu’un qui l’est, qu’on l’aime ou non. Guy ne va pas changer pour plaire aux gens. Son caractère est entier. Il s’est consacré entièrement au football pour la façon dont il a mené l’AJA et sa carrière. Au détriment de beaucoup de choses bien sûr, sa vie était résumée au foot pendant des années. Alors qu’il entraînait en D1, il prenait sa voiture, faisait 500km pour aller voir un jeune de U17 qu’il pouvait potentiellement recruter, revenait dans la nuit et le lendemain matin il était à l’entraînement. Pendant 60 ans de sa vie, les 365 jours par an étaient consacrés au football.

Alexandre Alain répond aux questions de Lectures sportives.
Alexandre Alain en pleine interview avec Lectures sportives. / ©Lectures sportives

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